Design en Inde : une aventure à tenter ?

« Le design en Inde n’a rien à voir avec ce qu’on voit en Europe », constate Thierry Betancourt, jeune designer installé à Bombay depuis 2009, et actuellement représenté par la galerie Nilufar à Milan. Alors, se lancer en Inde, niche en plein essor ou parcours du combattant ?

 

Le design en Inde, parcours du combattant et savoir-faire extraordinaire

Un parcours atypique

Le designer Thierry Betancourt

Thierry Betancourt

Qu’est-ce qui conduit un expert en mobilier européen du XVIIIe siècle de Sotheby’s vivant à New York à devenir designer à Bombay ? D’abord une rencontre inattendue avec Bombay. Invité à un mariage indien, il tombe sous le charme de la ville. « Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire dans cette ville. J’avais déjà été dans d’autres pays, au Mexique, au Maroc,… mais l’Inde, c’est incomparable. »

Ajoutez à cela la crise de 2008. Le crash de Lehman Brothers entraîne avec lui l’effondrement des marchés, y compris du marché de l’art. Plutôt que de continuer à travailler dans une ambiance sinistrée, Thierry tente sa chance en Inde, où il s’installe en avril 2009.

 

Des sensibilités différentes

L’idée de départ est de créer des meubles et les faire réaliser en Inde. Le concept est intéressant, mais « je n’ai pas choisi la facilité », reconnaît Thierry.

Ce n’est pas le manque de travail que craint le designer : les premières commandes arrivent d’ailleurs assez vite du Canada. À Bombay, le concept-store de luxe Le Mill, monté par deux Françaises et une Belge, lui commande une ligne de meubles.

intérieur design à Mumbai

Un appartement à Mumbai

Non, la difficulté vient plutôt de la délicate question de la fabrication. Si trouver des ateliers est facile, repérer les artisans qui comprendront le projet se révèle… compliqué : « Il y a non seulement un problème de langue, mais c’est très difficile de trouver des gens ayant la même approche et la même sensibilité. C’est vrai qu’ici, il n’y a pas d’équivalent au mobilier européen du XVIIIe siècle. Dans ma tête, j’avais quelque chose. Mais même si je leur montrais des photos, même en prenant un marteau et un ciseau pour expliquer ce que je voulais, pour eux, cela rendait quelque chose de différent… Je savais ce que je voulais. J’ai fini par l’obtenir, mais il y a eu des périodes assez douloureuses. »

D’autant plus que, travail de création oblige, les meubles sont composés de différents matériaux : « Je fais appel à des artisans différents selon qu’il faut travailler le bois, le métal, la pierre ou le ciment. Et tous doivent comprendre non seulement ce que je veux, mais aussi qu’ils font partie d’un ensemble plus large. »

 

Un savoir-faire exceptionnel

Pourtant, Thierry ne renonce pas : « Les artisans ici ont un sens exceptionnel du savoir-faire et du métier. » Encore faut-il les convaincre de travailler sur de petites quantités. « Ils sont payés à l’heure, à la journée. Leur intérêt, c’est d’avoir du volume à produire. » Sinon, difficile d’être prioritaire dans les ateliers : « Au début, j’ai dû attendre un mois pour avoir une chaise. »

Mais progressivement, à force d’expliquer et de montrer des références, Thierry a fini par trouver les artisans avec lesquels il prend plaisir à travailler. « J’ai aussi trouvé une équipe spécialisée dans le bois, avec une formation internationale. Pour certaines pièces, je travaille avec eux. Ils ont la maitrise et comprennent mon esthétique. »

 

 

Le design en Inde aujourd’hui

Des tendances différentes de l’Europe

Tattoo bar de Thierry Betancourt

Tattoo bar

Avec une expérience de plus de 5 ans en Inde, Thierry peut maintenant l’affirmer : « Je ne recommanderais pas aux gens de venir s’installer en Inde comme designer. Impossible de croître de façon exponentielle, à moins d’avoir un projet de production industrielle pour le marché indien ou d’exportation dans le reste de l’Asie, ce qui suppose, au bas mot, un investissement de plusieurs millions d’euros.

Car en terme de design, qui touche surtout les catégories les plus aisées, « le marché indien n’est pas encore prêt pour ce que l’on fait », constate Thierry.

Nombre d’Indiens fortunés restent fidèles au style indien. Les autres, ceux qui voyagent, ont tendance à copier ce qui se fait dans les hôtels de luxe occidentaux. Sans compter les tendances : il y a quelques années, la mode était au style néo-baroque, surchargé de dorures. À la fin des années 1990, la mode était au recyclage des plaques de chemins de fer. « On peut dater la restauration d’une maison d’après sa décoration », estime Thierry. Aujourd’hui, la tendance est plutôt aux lignes lisses et polies, des bois laqués dans le style d’Armani Casa.

En termes de créativité, « il n’y a pas encore de galerie de design. Mais ce n’est plus qu’une question de temps, estime Thierry. Dans 5 à 8 ans, il y aura un vrai marché ». Pour preuve, les Indiens suivent les tendances sur Internet et Instagram. Les géants du meuble sont également à l’affût. Ikea présent en Inde depuis presque 30 ans pour la production, est en train d’ouvrir ses premiers magasins après avoir longuement étudié le fonctionnement de cet immense marché potentiel.

En attendant, ce sont les architectes qui mettent le design en valeur. « Ils sont sensibles au design et n’ont aucune difficulté à proposer des choses nouvelles au client. » Il arrive également qu’à l’inverse, les architectes demandent aux designers de copier un meuble. Mauvais calcul, par exemple, dans le cas de Thierry où il arrive que la copie revienne plus cher que l’original.

 

Savoir se diversifier

La console araignée, exposée à la galerie Nilufar de Milan

La console araignée, exposée à la galerie Nilufar de Milan

Aussi depuis quelque temps, le designer n’hésite pas à s’orienter vers d’autres activités. Pour les entrepreneurs, c’est la raison sine qua non pour survivre en Inde. « Il faut savoir s’adapter, savoir balancer son business avec autre chose sous peine de ne pas survivre en Inde », affirme le consultant Emmanuel Balayer.

C’est le cas de Thierry  qui travaille, avec un associé indien, sur des collections de tissus d’ameublement et de tapis.

Devenu fin connaisseur du marché indien, il a décidé de l’aborder… de l’extérieur, et très précisément depuis Paris. « En matière de design et de décoration, il se passe beaucoup plus de choses à Paris qu’à Bombay. » Les clients viennent d’Europe, des Etats Unis et même d’Inde. « Les Indiens ont plus de respect pour ce qui est fait à l’étranger que pour des produits purement locaux. Les riches Indiens viennent régulièrement en Europe avec leur propre architecte. Et ils achètent sans discuter ni le prix, ni l’objet, alors qu’en Inde, ils demandent tout de suite des modifications, ce qu’ils ne font pas à Milan ou à Paris.» Sans compter le prestige d’un meuble ou d’un objet acheté à Paris ou à Milan.

S’il produit en Inde, Thierry peut bénéficier des avantages accordés par le gouvernement dans le cadre du « Make in India » qui incite les entreprises étrangères à venir fabriquer en Inde.

Les prochaines collections de Thierry Betancourt devraient être exposées aux prochains salon Paris Deco Off en janvier et au salon Maisons et Objet pour les professionnels. Sans oublier, bien sûr, la galerie Nilufar, qui présente certains des ses meubles à Milan.

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