Outsourcing, mode : portrait de Caroline Joire, multi-entrepreneuse

L’avenir de la mode serait-il en Inde ? Parlons de production et outsourcing, plutôt que de créativité pure. Ceci dit, souligne Caroline Joire, fondatrice du bureau d’achat DesiSource, niveau créativité, les designers indiens n’ont rien à envier aux occidentaux : « Ils osent le mélange des genres et des cultures. Ils ont l’art de revisiter les vêtements traditionnels à travers le prisme occidental. Une fusion des genres qui fait un carton aux Etats-Unis, et s’exporte de plus en plus ailleurs dans le monde. »

 

Installée en Inde depuis 7 ans, Caroline a, pendant plusieurs années, accompagné les entreprises pour s’installer en Inde, notamment avec Altios. Attirée par la mode – elle a pris l’habitude de faire fabriquer ses propres vêtements- et par l’entrepreneuriat, elle lance, en 2014, avec une amie, la marque de lingerie, Agaline.

Cette expérience lui sert largement aujourd’hui pour l’activité de DesiSource : elle aussi est passée par la recherche longue et fastidieuse de fournisseurs fiables, capables de comprendre ses besoins et de respecter ses critères de qualité.

 

Outsourcing en Inde, les avantages de l’

Déjà l’anglais, qui fait partie des langues officielles. Cela facilite le business.

L’Inde compte surtout de nombreux tisseurs, contrairement à ses voisins. C’est stratégique pour obtenir les matières premières plus rapidement. Et pour laisser libre cours à la créativité et aux produits à proposer aux marques.

Nuisette by AgalineCes dernières ont toujours la haute main sur le style des pièces principales des collections. Mais pour ce qui est des accessoires et des pièces secondaires, elles se tournent vers les buying house comme DesiSource. C’est un tournant, sensible depuis 5-7 ans, dans le métier : «C’est un autre type d’activité pour les usines et les bureaux d’achat comme DesiSource. Nous devons procéder à des analyses de tendances, de matières. Pour chaque client, nous devons étudier l’identité de la marque d’abord pour leur proposer une matière. Ensuite, soit la marque nous impose un modèle, soit c’est à nous de proposer des styles. Ce n’est qu’après qu’on passe à la production.»

 

Des avantages par rapport aux concurrents voisins

Depuis quelques années, la tendance à quitter l’Inde pour faire fabriquer dans les pays limitrophes s’est ralentie. Raisons économiques, bien sûr : « en Chine, les coûts de productions ont augmenté avec la hausse des salaires ». Mais pas seulement. Le Bangladesh n’a plus très bonne réputation entre les conditions de travail et l’instabilité politique. Restent le Vietnam, qui bénéficie d’un régime douanier de faveur avec la France, ce qui abaisse les coûts, ou le Cambodge. Mais il y a toujours la barrière de la langue. Et le réseau de fournisseurs n’est pas aussi étendu qu’en Inde. »

 

Certes, l’outsourcing en Inde a quelques bémols

Le moindre serait la gestion du temps : les délais sont rarement respectés en Inde. Mieux vaut donc prévoir une marge conséquente pour éviter les mauvaises surprises.

 

chez l'un des fournisseurs de DesiSourceMais l’un des plus gros challenges, c’est d’identifier les fournisseurs. Caroline en a fait l’expérience pour Agaline : «  la production de lingerie est dominée par les hommes. Dans la production de vêtements, on a des tolérances, du type ajouter 0,5 ou 1 cm. Mais en lingerie 1 cm de plus ou de moins, cela change la taille. Nous avons été confrontées à des producteurs – des hommes- qui réagissaient mal quand on le leur faisait remarquer. Cela a été difficile de trouver une usine qui comprenait ce qu’on voulait, mais nous avons fini par y arriver : l’usine est à Tirupur, dans le sud du pays, alors que je suis à Delhi. Ils ont accepté de travailler pour nous car ils voulaient apprendre de nouvelles techniques. Cela nous a mis en confiance. Ensemble, nous avons pris le temps de faire, et de refaire, pour leur faire comprendre le principe de la lingerie. »

 

A force d’arpenter le pays à la recherche des meilleurs producteurs, Caroline a maintenant un gros réseau de fournisseurs « mais qui sont peu accessibles pour qui ne vit pas en Inde ». Ils sont –relativement- fiables, réactifs. Ils n’ont surtout pas peur d’apprendre et de tester au lieu de se cantonner à ce qu’ils savent faire. « C’est la jeune génération qui est dans cet état d’esprit » remarque Caroline.

 

Pour renforcer ces bonnes dispositions, Caroline, très stricte sur la qualité, n’hésite pas à multiplier les contrôles. « La rigueur française que beaucoup de clients apprécient, même aux USA » est l’un des points forts de DesiSource. En général, avoir un interlocuteur occidental en Inde rassure les marques. « Les Européens préfèrent travailler avec des Européens. Je suis française, je comprends leurs démarches, leurs problèmes de qualité. Je passe moi-même par là, je sais comment le client final peut réagir sur des détails. »

 

Agaline l’expérience de départ

Ce focus sur le contrôle qualité est l’un des points forts de DesiSource. Pour une raison simple : Caroline exige pour ses clients la même qualité que pour sa marque Agaline.

 

Cette expérience dans la lingerie en Inde a été fondamentale à plusieurs titres pour l’entrepreneuse. Ne serait-ce que parce qu’elle se lançait sur un marché où des géants comme Aubade ou Etam, s’étaient déjà cassé les dents.

 

Les deux amies ont d’abord lancé Agaline pour elles-mêmes et pour leurs copines : « Au bout de 4 ans passés en Inde où l’on ne trouvait vraiment rien comme lingerie, nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose. C’est –en partie – parce que nous étions des consommatrices frustrées que nous avons lancé Agaline. Chaque fois que nous revenions en France, nous faisions le plein de lingerie. Même chose pour nos amies indiennes lorsqu’elles partaient à l’étranger. Il n’y avait rien de satisfaisant ici. On trouve de nombreuses marques mais surtout moyen et bas de gamme. Et des marques européennes importées, donc chères pour le marché, comme Mark & Spencers. La qualité est un peu plus élevée que celle des marques indiennes mais ce n’est pas vraiment du haut de gamme. Nous nous sommes dit que nous avions toutes nos chance : une styliste et une commerciale ensemble, la touche française… Cela pouvait marcher. On a lancé Agaline en 2014. »

 

C’est d’ailleurs là que Caroline a accumulé son expérience de l’outsourcing : « En production, les Indiens sont très forts dans les produits en cuir, les sac, les accessoires. Mais ils ne sont pas du tout reconnus sur la lingerie. Dès qu’il s’agit de réaliser quelque chose de compliqué, cela coince. On a mis un an et demi à trouver notre fournisseur.

 

Avec la lingerie, il faut aller dans le détail, respecter nos mesures, nos matières : toutes nos dentelles sont importées de Calais, de Lyon. C’est notre French touch qui nous différencie. Nous avons été chercher nos accessoires aux quatre coins du monde pour être sûres d’avoir des produits de qualité. Les élastiques sont achetés en Thaïlande, le coton en Inde, certains éléments viennent de Chine. On cherche le meilleur de chaque pays pour obtenir un produit de qualité. »

 

A la recherche d’un marché peu accessible

Agaline lingerieSi les produits tiennent toutes leurs promesses, encore faut-il qu’ils rencontrent les consommatrices. C’est loin d’être gagné : « les Indiennes ont encore beaucoup de mal à acheter leur lingerie en public. Sans compter qu’elles sont moins intéressées. En tant qu’européennes, nous achetons de la belle lingerie pour nous faire plaisir, pour nos compagnons. Pour les Indiennes, tant que cela ne se voit pas, si ce n’est pas beau, ce n’est pas grave. On leur explique que le fitting, la forme, la taille, ça compte. Que c’est dommage d’avoir une superbe chemise en soie et un soutien-gorge mal coupé en dessous. »

 

Aussi Agaline s’est adaptée à sa clientèle : « nous faisons beaucoup de ventes privées. Cela nous permet de discuter directement avec nos clientes : nous expliquons pourquoi notre produit est plus cher, pourquoi il est important d’avoir une lingerie de qualité adaptée à son corps. »

 

Se pose également la question du lieu de vente. Pas de boutiques, pour la jeune marque. Les quartiers branchés sont extrêmement chers. La vente à domicile ? « Beaucoup de femmes vivent avec leurs parents, leurs beaux-parents. Ce n’est pas évident de vendre de la lingerie, sachant que les beaux-parents, les domestiques, les enfants, le chauffeur peuvent arriver dans la pièce à n’importe quel moment. »

 

Agaline là encore s’est adapté : « nous organisons des ventes dans les restaurants branchés, les chambres d’hôtel, pour des petites soirées, ou dans les exhibitions organisés par les hôtels. Cela se fait beaucoup, notamment lors de la saison des mariages. On va dans les endroits où les femmes se retrouvent pour faire du shopping.

 

Beaucoup de clientes nous ont demandé si elles pouvaient acheter directement en ligne. Cela nous a surpris au début : d’habitude, quand on achète pour la première fois de la lingerie, mieux vaut essayer pour trouver sa taille. Là, pas besoin, à condition qu’il y ait un service retour. On s’est adaptées. Et cela nous a donné plus de visibilité dans d’autres villes comme Bangalore, Chandigarh grâce à des sites de market places. »

 

Caroline est donc multi-entrepreneuse. Un parcours assez classique pour qui monte une société en Inde. Et pour trouver sa place dans ce pays compliqué, que recommande-t-elle ? « Développer son réseau, et être attentif aux autres, J’ai beaucoup écouté les gens. Il faut rencontrer les bonnes personnes qui ont des infos, de l’expérience, qui ont des contacts… On apprend tous les jours, on apprend à travailler avec les Indiens, à reconnaître quand votre interlocuteur vous dit oui, oui peut-être ou oui-non. » C’est d’autant plus important que le marché est assez opaque pour les non-Indiens. « On ne peut pas faire deux voyages en Inde pour voir et puis décider de se lancer » explique Caroline. L’Inde s’apprend… à condition de prendre le temps.

 

 

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