La MGIS : l’école à l’origine de la loi sur l’éducation en Inde

Lorsque la Mahatma Gandhi International School – MGIS –ouvre ses portes à Ahmedabad en 1998, ses concepteurs étaient loin de croire que cette nouvelle école alternative provoquerait des réactions aussi violentes ; encore moins qu’elle serait à l’origine du Right for Education Act. Et qu’elle croulerait sous les demandes d’admission.

Un projet d’école alternative pour Ahmedabad

C’est un couple indo-français qui est à l’origine de la MGIS : Anju Musafir et Pascal Chazot. Ce dernier vit dans le sud asiatique depuis plus de trente ans, d’abord au Népal, dans le cadre de l’Alliance française. Après quelques années en Algérie, il est nommé, en 1990, directeur de l’Alliance Française à Ahmedabad. A la fin de son contrat, avec son épouse Anju, il décide de se consacrer à un projet qui leur tient à cœur : l’ouverture d’une école alternative à Ahmedabad.

Des influences pédagogiques variées

La MGIS est un projet pédagogique particulièrement ambitieux, dont le but est autant d’éduquer les enfants que les aider à se développer.

mahatma-gandhi-international-schoolLes élèves sont au cœur de l’apprentissage. L’influence des pédagogies de Freynet, Piaget, mais aussi la philosophie de Dewey sont sensibles, mais adaptées au contexte de l’Inde d’aujourd‘hui. Les expériences, les projets menés de manière autonome par les élèves sont au cœur du projet pédagogique et de l’apprentissage. « C’est une combinaison de pédagogies différentes » qui fait de la MGIS une école unique, à l’opposé de l’école indienne traditionnelle, fondée sur l’apprentissage par cœur.

 

Dans un cursus international

Même alternative, « notre école doit permettre aux élèves, une fois le bac en poche, de poursuivre des études et de travailler.» Ecole internationale, la MGIS dispense un enseignement exclusivement en anglais et prépare au Bac international, afin d’assurer aux élèves le plus large accès possible aux études supérieures. Cet examen n’impose ni cursus, ni de programme fixe, ce qui permet à la MGIS de développer son enseignement selon des principes établis dès l’origine.

 

Et un projet social

Un système éducatif à plusieurs vitesses

L’éducation inclusive est l’un des principes fondateurs de la MGIS. En Inde, la qualité de l’enseignement varie selon les revenus, explique Pascal Chazot.  Il existe des écoles pour les très très riches qui coûtent 25 000 €/an où l’on trouve les enfants des acteurs de Bollywood ou des riches familles industrielles; les école pour les riches à 15000€/an; celles pour les cadres supérieurs (10 000 euros/an), celles des middle class à 4000€/an, et celles des lower middle class à 1000€/an. Puis il y a les écoles pour ceux qui sont encore plus bas dans la hiérarchie sociale, les écoles pour les pauvres à 1000 roupies par mois. Et pour tous les autres, ceux considérés comme les déchets de la société, il y a les écoles municipales. Ce sont des écoles dépotoirs, infâmes sans salle de bain, ni même d’enseignement. Les enseignants sont absents ou alors font nettoyer leur scooter aux élèves.

 

Une institution s’appuyant sur le mélange social

« Notre idée était de créer une institution qui mélangent tous ces gens, qu’ils vivent, qu’ils grandissent et apprennent ensemble, qu’ils s’enrichissent de leurs origines et expériences différentes ». La mixité est donc présente à tous les niveaux. La MGIS accueille non seulement garçons et filles, et pratique la mixité économique, sociale et religieuse. « C’est une école laïque avec des enfants qui viennent de milieux et de castes différentes ». Cela touche à une fibre très sensible dan la population : traditionnellement, « on ne peut pas mélanger les castes, ni les pauvres et les riches… »

 

Des difficultés structurelles

Slum ou bidonville à Ahmedabad d'où viennent une partie des élèves de la MGIS

Slum à Ahmedabad © Emmanuel Dyan

Ce qui explique que, dès le départ, l’école a dû faire face à plusieurs défis de taille:
– «Nous voulions accueillir 20% d’enfants venant des bidonvilles ou des parties les plus déshéritées de la ville».
– « nous voulions être autonomes et financer notre école par les droits scolaires. Cela suppose que les familles plus aisées payent pour ceux qui n’ont pas les moyens. Nous avons instauré un système différentiel de droits de scolarité totalement transparent. Les parents savent qu’ils paient en fonction de leurs revenus ».
– Il fallait donc que l’école attire des familles aisées qui acceptent que leurs enfants étudient avec des enfants des bidonvilles. La chance de la MGIS est d’avoir convaincu dès le départ, trois ou quatre grandes familles d’Ahmedabad. Ces dernières ont adhéré aux principes de l’école, ainsi que quelques familles moyennes qui pouvaient également participer selon leurs revenus.

«Nous avons commencé petitement, avec des gens qui nous connaissaient. La première année, il n’y avait que la maternelle, avec 18 enfants, dont 4 venant des slums. »

 

La MGIS, un projet qui fait l’unanimité… contre lui

La MGIS n’a pas encore ouvert ses portes que les passions se déchainent. « Nous avons réussi à fédérer l’extrême droite et l’extrême gauche ensemble dans la rue contre ce projet. Chacun défilant selon ses intérêts » se rappelle Pascal Chazot.

Le lobby anti-anglais et anticolonialiste est aux manœuvres et s’insurge contre une école anglophone à Ahmedabad. Pascal Chazot, français, est aussi visé aux cris de « les étrangers dehors !». Pourtant, le projet était mené avec les autorités locales. «Le président du conseil d’administration de l’école est le maire de la ville. Parmi les six administrateurs, je suis le seul étranger.» Des articles aux relents xénophobes avertissant que « des étrangers s’emparent des écoles » fleurissent dans la presse. Ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que le Gujarat est assez fermé et peu accueillant pour les étrangers, note Pascal Chazot. « On nous a dit qu’au Punjab, nous n’aurions jamais eu ces problèmes. Et tous les jours, de nouvelles écoles s’ouvrent en Inde, sans provoquer de telles émeutes.»

Ironiquement, les défenseurs des pauvres étaient également de la partie : les pauvres étudiant avec les riches allaient se couper de leur monde social. Ils auraient des envies qu’ils ne pourraient assouvir, etc.

Le sujet le plus sensible reste le mélange des castes au sein de l’école. « L’apartheid dans l’éducation sévit en Inde depuis des siècles. C’est là que se forment les barrières culturelles et sociales. Pour nous, il était important de faire tomber ces barrières sociales, culturelles. Et de permettre à des enfants différents de grandir ensemble, dans les mêmes classes, depuis la maternelle jusqu’au bac. Car le monde est tel qu’on ne peut faire, dès le départ, des sélections arbitraires, des ghettos. »

 

Des agitations de rue jusqu’à la Cour Suprême

L’école ouvre ses portes avec un an et demi de retard dans une ambiance de quasi révolte populaire : «Nous avons vécu 1 an et demi de batailles, de foules dans la rue qui nous ont attaqué. Ils ont brûlé des bus, jeté des pierres, en plus des campagnes xénophobes.»

Des activistes se pourvoient en justice, au nom du public interest litigation, qui permet à la société civile de saisir la justice quand elle estime qu’un projet peut faire du tort à la société.

Et tant que le tribunal ne s’est pas prononcé, le projet est gelé. Exceptionnellement, le statu quo pour la MGIS n’a duré que 9 mois, contre plusieurs années en moyenne. L’affaire ayant été portée sur le plan constitutionnel, c’est la High Court qui se saisit de l’affaire. Un «bench » composé de 3 juges rend son verdict : en 30 pages, il démontre que le projet est non seulement légal et mais aussi intéressant. Le jugement fait jurisprudence en Inde et est à l’origine d’évolutions majeures dans le secteur de l’éducation.

Supreme court of India ©Mohit Singh

Supreme court of India ©Mohit Singh

Les détracteurs de la MGIS ne désarment pas et vont jusqu’à la Cour suprême. Là encore, l’école, soutenue par des avocats tous bénévoles a une chance inouïe. « Un jugement de la Cour suprême, cela prend 30 ans en moyenne. En attendant, tout est gelé ».

Or, de façon extraordinaire, la Cour Suprême délivre un jugement très rapide : 15 jours. « C’est peut-être le jugement le plus rapide de toute l’histoire de l’Inde » s’amuse Pascal Chazot. Les soutiens haut placés de la MGIS, comme Sonia Gandhi y seraient-ils pour quelque chose ?

Là encore, un bench de plusieurs juges se prononcent en faveur de la MGIS. L’école peut ouvrir ses portes, avec une base juridique solide, personne n’osant contester une décision de la Cour Suprême.

 

Le Right to Education Act

Depuis, son succès ne se dément pas. Mieux encore, le projet de la MGIS a suscité l’intérêt du ministère de l’Education. Des équipes du NERT (national education research and training), l’organisme central académique qui décide des programmes et de la pédagogie sont venues spécialement de Delhi pour en étudier le fonctionnement.

Et de fait, le Right to Education Act de 2010, qui rend l’école obligatoire pour les enfants de 6 à 14 ans –une première en Inde- reprend tous les principes de la MGIS : intégration d’enfants très défavorisés à l’école, pédagogie active, évaluation, projets holistiques … Il édicte aussi qu’on ne peut refuser l’admission d’un enfant en fonction de sa caste.

 

La MGIS aujourd’hui

La MGIS ne compte aujourd’hui que 260 à 280 élèves et ce, depuis des années. « Nous voulions une école de petite taille » explique Pascal Chazot, avec, au maximum 20 enfants par classe et une seule classe par niveau. « C’est le cadre de la psychologie humaniste : nous travaillons avec des êtres humains, nous ne sommes pas une usine. On se concentre sur la qualité. »

Déjà 9 promotions ont obtenu leur bac à la MGIS, dont plusieurs sont déjà sur le marché du travail. Leur suivi est d’autant plus intéressant que les élèves de la MGIS y ont passé toute leur scolarité. «On prend les enfants en maternelle et on les garde jusqu’au bac. Personne n’est mis dehors. On garde les enfants jusqu’au bac, quel que soit leur niveau.» La MGIS sélectionne les enfants pour maintenir l’hétérogénéité de la classe et non sur leurs capacités. « Pour nous, l’important, c’est le processus d’apprentissage, pas l’examen. Même si un étudiant n’est pas brillant, et s’en sort avec 0 au bac, il aura au moins eu 14 ans d’éducation où il aura appris des choses utiles pour sa vie. »

Peu de chance pour que cela se produise. « 99% de nos étudiants arrivent au bac. Le taux de succès au bac est de 90%. Les 10% qui ne l’ont pas obtiennent un certificat qui leur permet de continuer leurs études supérieures. » Le taux de GER, un indice reconnu qui indique, 2 ans après le bac, le pourcentage d’étudiants poursuivant des études supérieures est de 100% à la MGIS, contre 23 % en moyenne en Inde (et 65% en France).

 

Une école doublée d’un centre de recherches et de formation

Une pédagogie alternative, des élèves de milieux opposés, des résultats excellents… La réputation de la MGIS a, depuis longtemps, dépassé les frontières de l’Inde. L’institution intéresse de nombreux chercheurs, curieux de la pédagogie mise en place. Centrée sur l’élève, elle lui permet de développer des compétences transversales, telle que l’analyse des informations, pour se repérer sur internet.

«Ce type de pédagogie donne des résultats socialement très acceptables, explique Pascal Chazot. Des études ont montré que les enfants qui avaient un meilleur savoir être étaient mieux dans leur peau. Mais ce qui manquait, c’étaient des succès sociaux, suivre le parcours d’élèves qui réussissent dans leurs études et dans leur vie. Je dirais que le plus important, c’est leur donner les outils pour réussir leur vie.»

Pour la recherche, l’expérience est précieuse. Ouverte il y a 18 ans, l’institution cumule les données. Pascal Chazot y a consacré une thèse en 2005 à Paris XIII. Anju Musafir y consacre son doctorat au King’s College. Howard Garner, le théoricien des intelligences multiples et Curt Fisher, doyen du département Education à Harvard travaillent avec la MGIS. D’autres universités ont versé une dotation à l’institution pour continuer ses travaux. « On est pris au sérieux » se réjouit Pascal Chazot.

 

Quel modèle pour la MGIS ?

La MGIS n’a pas vocation à être dupliquée, expliquent ses fondateurs. « C’est un modèle difficile à transposer, car il s’agit de pédagogie individualisée, personnalisée. Nous travaillons sur le développement de l’enfant, pas des enfants. C’est difficile de mettre en place une procédure pour cela. »

Aussi, plutôt que d’imaginer une chaine d’école, la MGIS s’est développée en un centre tricéphale : une école alternative pour l’application, un centre de formation pour les enseignants – c’est d’ailleurs la branche qui se développe le plus depuis 2 ans – et un centre de recherches. « La recherche action en éducation ne suffit pas. Il faut de la formation » explique Pascal Chazot. Une réalité qui s’applique à l’Inde mais également dans nombre de pays où le système éducatif est loin d’être performant.

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